Profitons de ce vent fort et de ces conditions involables pour nous perfectionner un peu.
Cet article, rédigé par Marc Boyer de Luchon Vol Libre, est destiné aux pilotes qui volent ou désirent voler en thermique et qui de ce fait sont ou seront confrontés à la turbulence et un jour, c’est sûr, à une fermeture.
Pour de nombreux pilotes, le vol en thermique est un objectif prioritaire qui permet d’accèder au vol de distance. Cependant, voler loin, longtemps dans des aérologies diverses nécessite un apprentissage progressif, une certaine rigueur et une auto-évaluation permanente. Cet article a pour but de définir les fondements du pilotage actif que seule une pratique régulière permet d’acquérir. Un minimum de 50 heures de vol en thermique par an est nécessaire.
Ressentir, comprendre, agir…
Piloter un parapente de manière active, c’est ressentir, comprendre, agir.
Il faut d’abord comprendre à partir de quelles sensations nous pilotons notre voile..
Pour voler en thermique, il faut se forger un mental notamment pour se familiariser avec la
turbulence et les mouvements pendulaires qu’elle induit. C’est comme pour un marin qui doit « s’amariner », se familiariser avec la houle et avec les mouvements du bateau
L’utilisation d’automatismes, indispensable pour pouvoir piloter notre aile avec anticipation
dans la turbulence, dépend de notre capacité à ressentir continuellement ce qui se passe, à travers nos différents capteurs sensoriels.
Nous devons développer et affiner six types de sensations de manière à produire le bon
geste au bon moment :
d’équilibre,
proprio réceptives,
tactiles,
kinesthésiques,
visuelles
auditives
La qualité de ces gestes et de ces actions de pilotage dépend de la rapidité avec laquelle
nous parcourons ces trois phases : ressentir, comprendre, agir, de leur vitesse d’exécution et de leur précision
L’équilibre – le corps – la sellette
Les sensations d’équilibre sont les plus importantes ; l’être humain, au cours de son
évolution, les a développées pour se tenir debout et se déplacer. Chaque individu les a
ensuite plus ou moins affinées au cours de sa vie et dans le cadre de ses différentes
activités sportives et professionnelles.
En vol, on ressent les déséquilibres provoqués par la turbulence quand l’aile cabre, pique et fait du roulis. Il s’agit d’une sensation profonde. Il faut se familiariser avec ces mouvements pendulaires et avec les changements d’équilibre qu’ils induisent. Un pilote familiarisé avec ces phénomènes est en mesure de bien les ressentir. Il sera ensuite capable de les comprendre, de les interpréter et de faire la différence entre les mouvements de l’aile et ceux du corps.
Grâce à de bonnes sensations d’équilibre nous pouvons utiliser notre poids dans la sellette pour :
– atténuer, accompagner ou provoquer ces mouvements pendulaires,
– manoeuvrer efficacement notre aile,
– préserver nos trajectoires dans la turbulence,
– retrouver rapidement le vol normal suite à une sortie du domaine de vol.
C’est autour de cette notion d’équilibre que le pilotage du parapente va pouvoir se
construire.
Dans la turbulence, l’utilisation continuelle de la sellette permet de garder le contact avec.
l’aile. Répartir notre poids sur les deux demi ailes par des transferts d’appuis gauche/droite est une nécessité. Dès que l’on ressent un soulèvement ou un affaissement latéral, on doit contrôler le phénomène en effectuant un « contre sellette ».
La position du pilote dans la sellette est déterminante.
La position idéale est d’avoir le dos légèrement incliné en arrière. Ensuite les cuisses
doivent être écartés pour prendre appuis sur le plateau. Les pieds sont regroupés. Nous
devons entretenir dans cette position un minimum de tonicité musculaire au niveau des
muscles posturaux, des jambes, sans oublier les bras. Cette tonicité est aussi nécessaire
pour entretenir notre équilibre. Des jambes qui ballottent traduisent une perte d’appuis et
signifient que le pilote subit les mouvements de l’aile. Cette position est nécessaires pour la réalisation d’un virage efficace à condition de bien régler sa sellette.
Quand on vole en position couchée, le centre de gravité descend. L’ensemble devient plus
instable. La liaison entre le pilote et la voile est plus sensible. L’entretien de l’équilibre et les
rééquilibrations sont plus difficiles. L’instabilité en lacet est plus importante car les ¾ de notre poids se situe en arrière des points d’encrages. Il devient alors nécessaire d’utiliser une barre qui rajoute deux appuis aux niveaux des pieds. C’est pour ces raisons que la position « couché » a notamment été abandonné pour la voltige. Par contre en compétition, la plupart des pilotes volent couchés pour des questions de confort et de rendement aérodynamique. En effet, ils volent plusieurs heures d’affilée et consacrent beaucoup de temps durant leur vol aux transitions. Ils diminuent ainsi leur traînée et bénéficient d’un meilleur contact visuel avec l’aile. Mais quand les conditions deviennent trop turbulentes près du relief, la plupart se redressent.
Beaucoup d’informations transitent ainsi par la sellette : tangage et roulis sont faciles à
ressentir. Pour le lacet c’est plus subtil. Nous ne pouvons pas agir sur le tangage en utilisant la sellette et le poids du corps. Nous ne pouvons que le ressentir. Le contrôle du tangage s’effectue donc avec les commandes.
Le proprio réceptif – les mains – les commandes
Nos mains sur les commandes sont en contact permanent avec l’aile. Il s’agit d’une
sensation profonde dite proprio réceptive. Sa perception est fine. C’est pourquoi en volant
avec des gros gants épais, on perd une partie de ces infos. La façon de saisir les
commandes est très importante pour la qualité du ressenti. Il faut impérativement les
prendre en dragonne. Imaginez votre main comme le prolongement de la drisse. La drisse
qui sortirait de vos doigts vous reliant ainsi directement au bord de fuite et à votre aile…
Le contact avec son aile s’établit ensuite en volant au neutre. On trouve le neutre entre
les positions « bras hauts » et celle du taux de chute mini. Cette position correspond à peu près au poids des mains sur les commandes. Elle change sensiblement en fonction des modèles de voile et des charges alaires. Les commandes doivent impérativement être réglées selon la norme (pas plus de 5cm de traction pour déformer le bord de fuite). A ce régime de vol, on peut ressentir le moindre allègement, la plus petite variation d’effort sur les commandes.
Les mains permettent au pilote d’être en contact avec son aile
Les mains en contact avec les commandes agissent comme de véritables capteurs et nous envoient continuellement des informations. C’est à partir de ces infos que l’on peut
comprendre et mettre en place une gestuelle automatisée de pilotage.
L’effort à la commande est directement lié au facteur de charge.
Une commande qui s’allège peut signifier :
– une diminution de l’incidence,
– un mouvement à piquer,
– une diminution du facteur de charge.
C’est le cas lorsque nous sommes confronté à une rafale descendante ou à un gradient de vent à l’atterrissage.
Une commande qui durcit peut signifier :
– une augmentation du facteur de charge,
– un mouvement à cabrer
– une augmentation de l’incidence.
C’est le cas lorsque nous sommes confronté à une rafale ascendante
Les phénomènes de durcissements de la commande se font sur des variations de poids plus petites encore que pour les allègements. Ce sont des informations intéressantes, qu’il faut essayer de prendre en considération mais il est plus facile de percevoir un mouvement de tangage à partir des sensations d’équilibre et des sensations tactiles liées au vent relatif.
Le kinesthésique – les bras
Chaque être humain développe instinctivement des sensations profondes appelées
kinesthésiques. Elles nous permettent de garder instinctivement l’équilibre au sol. En
parapente, on est capable de positionner nos mains (donc nos commandes) sans avoir
besoin de les regarder.
Nous y arrivons très bien en vol équilibré. Avec le stress ou en cas de déséquilibre, on perd ses sensations kinesthésiques. Ceci explique, en partie ; les phénomènes de surpilotage lors d’incident de vol.
Il y a perte des sensations kinesthésiques lorsqu’un pilote qui a perdu le contrôle de son aile n’est plus capable de bien positionner ses mains et ne trouve plus la poignée de son
secours. Il la cherche alors du regard mais perd un temps précieux.
Le regard :
Le regard est vital dans notre pratique, et il nous faut l’éduquer pour recevoir et optimiser
toutes les informations qu’il peut nous offrir.
Le regard permet de se situer dans l’espace, d’apprécier la vitesse sol, la perte ou le gain
d’altitude, les changements de trajectoire, les mouvements pendulaires de l’aile…Il permet
aussi de se rassurer sur le comportement de l’aile dans certaines situations.
En vol, l’axe de référence est l’horizon. En regardant inconsciemment ce repère évident, on évalue les mouvements pendulaires et notamment le tangage. C’est pour cela qu’il est
important, en vol, de regarder loin devant. Un pilote qui regarde souvent sa voile est un pilote qui a besoin de cette confirmation visuelle pour palier un manque de confiance dans ses sensations. Mais, ce contrôle doit être ponctuel, car en se focalisant sur l’aile on occulte les
autres informations. Avoir les yeux rivés sur son aile témoigne souvent d’un sentiment de
stress ; dans ces conditions il est impossible d’anticiper toute action de pilotage.
Lorsqu’on vole près du relief ou en présence de nombreuses ailes, la priorité est la maîtrise et l’anticipation de la trajectoire ; on comprend alors l’intérêt de voler sans regarder son aile.
Un défaut de regard induit souvent d’autres formes de crispations (bras écartés, jambes
tendues…) ; on constate aussi qu’en situation de stress, on respire mal, on vole en apnée.
Cependant, le regard sur la voile est nécessaire dans certaines situations. Il permet au
voltigeur d’analyser le comportement de son aile sur des phénomènes pendulaires poussés à l’extrême. Lors d’un incident de vol, on jette un coup d’oeil à la voile (sans oublier de regarder aussi l’extérieur pour continuer à bien se situer dans l’espace) afin d’analyser très rapidement la nature et l’ampleur de l’incident.
En régime de vol accéléré et bras hauts, on perd une partie du contact avec l’aile, le regard se porte donc logiquement en partie sur l’aile.
Le tactile – Perception du vent relatif
En vol, nous devons nous concentrer sur la perception des informations liées au vent relatif qui caresse notre visage. Il nous renseigne sur notre vitesse, sur les mouvements
pendulaires et sur la masse d’air que nous traversons. Cette sensation est très importante et c’est la raison pour laquelle de nombreux pilotes (notamment les voltigeurs) ne supportent pas de voler avec un casque intégral. Celui-ci nous prive en effet d’une grande partie de ces informations tactiles.
En arrivant dans une zone turbulente, l’écoulement de l’air devient moins laminaire. La
pression de l’air sur le visage n’est plus constante. La caresse du vent relatif fait place à des petites « gifles d’air ». Il faut apprendre à ressentir ces phénomènes subtils. Dès que l’on perçoit ces signes liés aux modifications de vent relatif, on se prépare à gérer les
déséquilibres/sellette et des mouvements pendulaires provoqués par le passage dans une
zone turbulente. On vole « au neutre », prêt à réagir. Il arrive aussi que l’on perçoive des
rafales sur le visage sans qu’il s’ensuive de mouvements de l’aile : Suspendu presque 8
mètres sous l’aile, le pilote est peut être dans la turbulence, mais pas son aile!
Dés qu’il y a une modification de l’équilibre pendulaire de l’aile, il y a aussi modification du
vent relatif. Ce sont les mouvements de tangage et les changements de trajectoire qui
provoquent les plus grandes modifications. Quand l’aile cabre, le pilote passe devant son
aile par inertie. La pression du vent sur le visage augmente. Puis l’ensemble aile pilote
repasse au point d’équilibre : la pression diminue.
Le bruit du vent
Le bruit provoqué par l’écoulement de l’air autour de la tête, nous permet d’apprécier notre
vitesse air. Des modifications de ce bruit traduisent des mouvements pendulaires.
Les suspentes sifflent avec le vent relatif : c’est une information intéressante sur notre
vitesse et sur les mouvements pendulaires ! Chaque voile possède un son en vol équilibré et une gamme de sons liés aux mouvements pendulaires. Habituez-vous à les écouter ! Un son qui devient plus aigu traduit une accélération.
Le bruit du tissu qui faseille renseigne sur la déformation de l’aile et la venue éventuelle
d’une fermeture. Au moment de la fermeture, le bruit est sourd. Un claquement accompagné d’une secousse et d’un bref soulèvement est le signe d’une réouverture massive et franche.
Si on vole dans une bulle ; avec un casque intégral ou avec un casque trop bruyant ; on se
prive d’une partie de ces indispensables sensations auditives !
Deuxième partie à suivre……